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Le Préfet, Entrepreneur d'Etat- Discours du 16 Octobre 2017 par M. Jean-François Carenco, Préfet de Région Ile-de-France honoraire et Président honoraire de l'ACP-

Paris, le 16 octobre 2017

Préfet, entrepreneur d'État

Le Président de la République a, en les recevant il y a peu à l'Élysée, demandé aux Préfets d'être les entrepreneurs de l'État. Pour ma part, je souscris à cette demande en y ajoutant « et les constructeurs infatigables de la République

En réalité, il s'agit d'une répétition mais cela va mieux en le disant.

Mais qui sont les Préfets créés par Napoléon 1 er Consul à l'aube du 19ème siècle ? Lors de cette création, Lucien BONAPARTE, le frère du 1 er Consul, indiquera que « de ce jour-là, date le bonheur des peuples » (sic). Il voulait dire, espérons-le, des peuples sous administration française. Pour bien comprendre cela, rappelons qu'en France c'est l'État qui a construit la Nation, de l'inverse des autres pays européens. Rappelons aussi que les Préfets, successeurs des intendants à l'ancien régime, trouvaient ce jour-là une légitimité institutionnelle que leurs semblant de prédécesseurs n'avaient pas. Depuis, les Préfets ont traversé les régimes et même si leurs uniformes rappellent trop leur inspiration (les uniformes) par le régime de Vichy, ils sont indissociablement liés à la République.

Mais qui sont-ils ?

Ce sont des hauts fonctionnaires, en général issus de l'École Nationale d'Administration, ayant fait leur carrière au sein du Corps Préfectoral et nommés par décret du Président de la République en conseil des Ministres. Ils sont révocables sur le champ (on vient de le voir récemment). En réalité, Préfet est à la fois un grade et une fonction. Il y a environ 250 personnes qui ont le grade de Préfet, qui en général s'acquiert en étant nommé sur un premier poste territorial (Préfet de département, de région, de police ou Préfet délégué). Les autres servent dans d'autres fonctions de l'administration (cabinet ministériel, ministères, Conseil d'État, Cour des comptes, entreprises publiques...). D'autres assurent des fonctions au ministère de l'Intérieur, qui gère le corps. D'autres, enfin (un petit nombre), sont en attente d'affectation.

Voilà pour les faits.

Quel est leur rôle ?

Nous limiterons, ici, l'analyse aux Préfets « ordinaires », Préfets de département ou Préfets de région qui sont précisément en poste dans les régions et les départements.

Leur rôle est double : représenter l'État, être le représentant du gouvernement et de chacun de ses membres dans leur circonscription.

 Représenter l'État

En l'absence de Ministre, c'est le Préfet qui représente l'État dans sa circonscription territoriale. A ce titre, il a préséance sur tous les autres membres des corps constitués et un décret de 1989 rappelle très précisément l'ordre protocolaire dans les territoires : il est le premier.

C'est à ce titre qu'il parle en dernier dans les cérémonies, préside les cérémonies républicaines, y compris militaires, qu'il est accueilli dans toutes les communes et assemblés territoriales, qu'il reçoit les personnalités étrangères.

Bien évidemment, cette représentation de l'Etat ne saurait être exempte de courtoisie et d'empathie. Sa présence dans les manifestations culturelles, sportives, sociales, tout comme les invitations qu'il lance, veulent être la preuve des encouragements de l'Etat aux acteurs de la société civile.

 Représenter le gouvernement et chacun des Ministres

A ce titre, le Préfet est le chef de toutes les administrations civiles de l'État et il représente chacun des Ministres, y compris le Ministre des Armées et le Ministre de la Justice.

Bien évidemment, l'histoire, les principes de séparation des pouvoirs, les lois et la pratique ont rééquilibré les choses. Le Préfet ne dirige pas les armées, les services fiscaux, la pédagogie de l'Éducation nationale, les universités, la justice, etc... Bien évidemment, les collectivités locales, si elles sont contrôlées par les Préfets, s'administrent librement depuis 1981.

Mais enfin, les pouvoirs d'un Préfet, aux ordres de chacun des Ministres, sont lourds et signifiants ordre public, politique des entreprises, politiques sociales, culturelles, politique du logement, de l'environnement, de la ville, de l'immigration, etc...

Tout cela, et bien d'autres choses encore, sont coordonnés et impulsés par lui qui est le responsable de tous les services de l'État dans les territoires. Même si cela est en réalité plus complexe, c'est plutôt comme cela que cela se passe et c'est le gage de l'application des politiques publiques, dans leur complexité.

Bien évidemment, comme cela doit être la règle en régime démocratique, les actes des Préfets sont soumis au contrôle des juges.

 Entrepreneur d'État

Au-delà de cette description statique du rôle des Préfets, je préfère retenir une définition plus dynamique en écrivant donc que les Préfets sont « les entrepreneurs de l'État, les promoteurs de la République ».

Rappelons d'abord que c'est au titre de gardien de la République qu'ils exercent le contrôle de légalité et d'application de la loi sur leur territoire. Cela passe par le regard porté sur les actes des collectivités locales, par la mise en oeuvre de l'article 40 du code de la procédure pénale, par le devoir de saisine des autorités supérieures en cas d'anomalies de fonctionnement des services de l'État. Loin d'être uniquement un rôle de « père fouettard cela me semble être un rôle essentiel de cohésion nationale.

Ensuite, le Préfet doit être celui qui rassemble pour construire l'avenir. Dans sa neutralité politique, avec ses capacités d'actions, dans son rôle de représentant de l'État, le Préfet peut et doit, sur chaque sujet posé, rassembler tous les acteurs d'un sujet pour dégager ensemble des solutions.

Dans un monde où la méthode de gouvernance doit refuser le fait que « le haut s'impose au bas » ou que « le bas exige du haut » (si le bas et le haut ont encore un sens), où les solutions doivent être définies avec tous les acteurs, en pleine responsabilité de chacun, alors c'est au Préfet d'agir, d'impulser, de coordonner. Ce qu'il peut faire en matière d'entreprises en difficulté est un exemple parfait. En lien avec le Ministre des finances, il écoute les chefs d'entreprises, construit une solution avec les syndicats, sollicite le système bancaire, les aides publiques, les collectivités locales. Il agit avec les tribunaux de commerce et les administrateurs judiciaires. Il fait bien évidemment, à l'inverse, une action similaire pour les entreprises en croissance, en création ou désireuses de s'implanter.

La politique de la ville et la politique du logement, de l'hébergement, doivent procéder de la même pratique : rassembler, confronter les idées, imaginer, agir ensemble. Nous sommes au cœur du rôle des Préfets du 21 ème siècle.

Promoteur de la République

Faisant tout cela, le Préfet, j'ose l'écrire, devient l'un des hussards de la République. Dans ces temps où tout est à réinventer du fait de l'évolution incroyable des techniques et de la communication, dans ces temps où, de ce fait même, la tentation est le repli sur soi, le rejet de l'autre, la préférence du passé, dans ces temps où au contraire doit être fait le choix de la construction de l'avenir, des lumières contre la barbarie, alors la République est le chemin.

C'est aux Préfets de promouvoir cette République, celle qui est gage de fraternité, de culture, de connaissance, de création de valeurs et de liberté. Dans ce rôle, les Préfets, aux ordres des politiques du gouvernement, doivent en permanence prendre le risque de rassembler, de créer et d'inventer.

En guise de conclusion

En conclusion, je veux reprendre les cinq idées que j'évoquais en introduction du 2ème colloque ÉRIGNAC, qui s'est tenu à la Sorbonne le 25 septembre dernier, et qui avait pour sujet : « l'État de la République ».

1 ère idée (texte de Régis DEBRAY)

La République, c'est la démocratie plus , plus précieuse et plus précaire, plus ingrate et plus gratifiante. La République, c'est la liberté plus la raison, l'État de droit plus la justice, la tolérance plus la volonté. La démocratie, dirons-nous, c'est ce qui reste d'une République quand on a éteint les lumières.

2ème idée

Dans ce monde qui change à une vitesse en accélération et où tout est donc à réinventer, la République, elle aussi, doit être repensée car le système d'information questionne désormais la démocratie représentative, base de nos institutions : c'est la question de l'opinion face au vote, du désir face à l'expertise.

3ème idée

Nos élus, nos élites, osons le mot, sont appelés à redéfinir un intérêt général qui rassemble, plus fort que la somme des intérêts particuliers que le populisme repeint parfois aux couleurs d'une démocratie dévoyée.

4ème idée

Les mouvements de la population mondiale, l'abolition des frontières par les facilités de déplacement, mais aussi notre devoir absolu de fraternité, viennent percuter cette reconstruction républicaine dans un monde à la topologie désormais sans mesure. La République devra ainsi concilier l'irruption de nouveaux venus et les microsociétés créées par des réseaux sociaux introverties et porteurs de repli sur soi.

5ème idée

Pour refuser l'entre soi, le sujet de l'autre, l'idée qu'hier était, par principe, préférable à demain, pour croire que la puissance de l'esprit désormais quasi sans limite peut réinventer un monde d'égalité, de liberté, de fraternité, un monde de culture, d'échange et de croissance, pour que les lumières puissent triompher de la barbarie, il y a un chemin collectif, il s'appelle la République.

Et les Préfets en sont les défenseurs et les promoteurs !

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